polluants éternels

Saviez-vous que dix millions de composés chimiques ont été créés au cours du XXe siècle, parmi lesquels 150 000 ont reçu des applications commerciales ?

Ce déferlement de molécules trouve aujourd’hui son apogée dans l’existence de polluants éternels (PFAS) disséminés dans les moindres recoins de la planète et responsables de nombreuses maladies.

Une vaste enquête internationale vient de mettre à jour les lieux où se concentre cette pollution en Europe. Faire l’histoire de la chimie industrielle conduit à ce constat glaçant : l’innovation technologique n’a fait que substituer des poisons les uns aux autres.

C’est quoi les PFAS ? (prononcer « piface »)

Les Substances Per et PolyFluoroAlkylées constituent une famille de plus de 4000 molécules différentes (issues à l’origine de la synthèse du polytétrafluoroéthylène en 1938, que la firme chimique américaine DuPont de Nemours a commercialisé dès 1949 sous le nom de Téflon) utilisées dans de nombreux produits tels qu’imperméabilisants, mousses à incendie, emballages alimentaires, antiadhésifs, etc. Une de leurs caractéristiques communes est de contenir du fluor.

Qualifiées de « polluants éternels », elles sont toxiques et persistantes. Lorsqu’elles sont dispersées dans l’air et dans l’eau, elles sont absorbées par les organismes vivants, dont nous-mêmes, avec des impacts graves sur notre santé (cancers des testicules, reins, seins, effets sur les systèmes immunitaire et thyroïdien…).

Chaque étape de la vie de ces molécules engendre une dispersion dans l’environnement

La production de ces substances induit des rejets dans l’air et dans l’eau.

"Nous vivons tous proches d’un milieu contaminé aux PFAS"

Un des sites de production proche de chez nous est celui de Solvay à Tavaux. On y fabrique des gaz fluorés, qui, dans leur majorité, sont considérés comme des PFAS selon la définition de l’OCDE. Cette fabrication donne lieu à des émissions dans l’air et des rejets dans l’eau.

Les analyses faites autour de sites de production similaires aux États-Unis et aussi aux alentours des usines Arkema et Dakin à côté de Lyon, ont révélé la présence de PFAS dans l’environnement. On peut donc supposer qu’il en est de même à Tavaux.

Malheureusement il n’a pas été possible jusqu’à présent de disposer des mesures de suivi. Les demandes d’intervention par les services publics n’ont jamais été acceptées par Solvay.

Il en est de même lors de leur intégration à des matériels ou des produits.

Il peut s’agir d’application d’antiadhésif, de traitement imperméabilisant, de production de mousse anti-incendie… avec rejets de vapeurs et poussières, dans l’air et dans l’eau. Un exemple se situe à l’usine Tefal à Tournus. Mais aucune évaluation de la pollution n’a été faite, alors que le site équivalent de Rumilly en Haute-Savoie, où sont fabriqués des ustensiles de cuisine, a révélé une pollution aux PFAS.

L’utilisation de ces matériels ou ces produits est également source de pollutions.

Parmi les cas d’utilisation des matériels ou des substances, on peut citer le cas des mousses anti-incendie utilisées lors d’exercices sur la base militaire de Luxeuil-les-Bains. Ce site est répertorié comme pollué aux PFAS. Plus généralement, l’utilisation courante de produits et matériels contenant des PFAS provoque une diffusion de petites particules dans l’environnement, puis en fin de vie des matériels, génère des déchets plastiques éternels.

Avec dix-sept autres médias européens, au sein de l’enquête internationale « Forever Project Pollution », le quotidien Le Monde a publié le 23 février 2023, la carte de la pollution de l’Europe par les per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Cette enquête donne un éclairage sur la situation de la pollution aux PFAS sur de nombreux sites, dont une cinquantaine en Bourgogne–Franche-Comté.

L’Europe compte plus de 17 000 sites contaminés à des niveaux qui requièrent l’attention des pouvoirs publics (au-delà de 10 nanogrammes par litre) et la contamination y atteint des niveaux jugés dangereux pour la santé (plus de 100 nanogrammes par litre) dans plus de 2 100 « hotspots ».

La France accuse un retard considérable dans la lutte contre les PFAS

Si aucune action n’est menée, 4,4 millions de tonnes de PFAS seront relâchées dans l’environnement dans les trente prochaines années. L’alerte donnée à l’occasion de la campagne de mesure des PFAS dans l’eau de boisson menée en 2009-2010 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) est malheureusement restée trop longtemps sans suite.

Devant la difficulté d’analyser l’environnement des sites industriels et le manque de limitation dans l’utilisation des PFAS, il est nécessaire au plus vite d’avoir une législation contraignante. Nous manquons cruellement de connaissances sur le sujet et nos systèmes de contrôle ne sont pas à la hauteur : il n’y a pas de contrôle de l’eau potable, pas de normes sur les sols, pas de normes sur l’air.

Comment la situation peut-elle s’améliorer ?

Le plan d’action PFAS 2023-2027 qui vise enfin à réduire les risques à la source, à poursuivre la surveillance des milieux, à accélérer la production des connaissances scientifiques et à faciliter l’accès à l’information pour les citoyens est-il suffisamment ambitieux ? Le Gouvernement a-t-il pris pleinement conscience de la gravité de la pollution ?

L’action de la France s’inscrit dans le cadre européen, et le règlement européen sur les substances chimiques (REACH) est justement actuellement en cours de révision. Il faut dire que les PFAS ne sont pas à ce jour inscrites dans la liste des substances à déclarer par les industriels… Dans ce cadre, la Commission européenne et l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) étudient la possibilité d’interdire la famille des molécules PFAS, dans l’Union européenne (UE).

Depuis des décennies les interdictions de ce type sont très lentes, car elles sont faites molécule par molécule. L’interdiction appliquée à toutes les molécules de la famille des PFAS serait une avancée spectaculaire.

Les industriels de la chimie protègent leurs intérêts…

Mais ne nous y trompons pas, ce projet est contré par un intense lobbying mené par une centaine d’organisations et une trentaine d’industriels de la chimie, dont Solvay. Leur objectif est d’atténuer les obligations de restriction de ces substances.

Heureusement, les investisseurs, qui permettent le développement des entreprises, sont préoccupés par les produits chimiques toxiques, et un groupe gérant 8 000 milliards de dollars d’actifs a écrit aux plus grandes entreprises chimiques du monde pour leur demander d’abandonner progressivement l’utilisation des PFAS. Ils estiment qu’une réglementation plus stricte en matière de produits chimiques leur ferait courir moins de risques lorsqu’ils investissent dans des entreprises au sein de l’UE.

Il est vraiment urgent de réformer le REACH, de remédier à ses lacunes, afin d’accroître le niveau de protection des personnes et de l’environnement, et de garantir que les industries européennes innovent en vue d’obtenir des produits chimiques plus sûrs et plus durables. S’exprimant lors d’un événement sur la réforme du REACH organisée à Bruxelles début mars 2023, le commissaire européen à l’environnement Virginijus Sinkevičius a déclaré que les fonctionnaires de la Commission européenne « travaillent à plein régime sur la révision » et que la proposition REACH sera prête « avec un peu de chance avant l’été ».

Le gouvernement français par les voix du ministre Christophe Béchu, et de la secrétaire d’État, Bérangère Couillard, a affirmé soutenir une révision rapide de ce Règlement. La révision sera-t-elle prête pour juin 2023 ? Après, quel sera le temps nécessaire pour faire appliquer le règlement…

 Françoise Grandjean par Françoise Grandjean lire l’article dans le bulletin