Le ministre perd son sang-froid

La mobilisation contre les réserves d’irrigation pour l’agriculture a donné lieu à des affrontements avec les forces de l’ordre à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 29 octobre 2022.

Après un week-end très tendu de mobilisation contre les bassines le dossier est devenu hautement politique. S’il est indispensable de condamner les violences, l’utilisation par le ministre de l’Intérieur du terme de « terroristes », lui qui devrait pourtant trop bien savoir ce qu’est le terrorisme pour utiliser cette qualification à la légère, est franchement inadapté.

La députée verte de la Vienne Lisa Belluco présente dans le cortège a réagi sur France Info dès le lendemain en parlant d’amalgame dangereux et dénoncé surtout la violence d’État d’un gouvernement qui n’écoute pas les personnes qui défendent l’accès à l’eau pour tous, une liberté fondamentale. Alors qu’elle se trouvait en compagnie d’un autre parlementaire portant lui aussi l’écharpe tricolore, elle a été violemment repoussée à coup de matraque par les forces de l’ordre.

Pour l’eurodéputé écologiste Benoit Biteau, « c’est une inversion des valeurs : le terrorisme c’est de monopoliser l’eau pour un modèle mortifère qui condamne les générations futures. » Il assure lui aussi avoir été matraqué par les forces de l’ordre. Des bleus partout, et surtout le goût de la lacrymo dans la gorge depuis deux jours…

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En savoir +> Bassines non merci

Dans certains départements, comme les Deux-Sèvres ou la Vienne, des mégabassines, appelées officiellement « réserves de substitution », se multiplient avec la complicité de l’État. Elles sont remplies par pompage direct dans les nappes phréatiques en hiver, alors que celles-ci ne sont plus en mesure de se recharger normalement et que les seuils critiques sont dépassés chaque année.

En mars 2019, 19 bassines étaient en projet sur le bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon (Deux-Sèvres), dont 7 en Zone Natura 2000. Une trentaine de bassines sont déjà en activité en Vendée, une quinzaine en Charente, une dizaine en Charente-Maritime, une dizaine en Vienne, une demi-douzaine dans les Deux-Sèvres. Désignées comme de « nouvelles ressources en eau », solution d’adaptation au changement climatique soulignée par les conclusions du Varenne de l’eau, en février 2022, ces réserves sont donc amenées à se généraliser sur l’ensemble du territoire, comme l’a martelé Julien Denormandie durant son mandat de précédent ministre de l’Agriculture.

Et elles sont colossales, ces réserves ! Pour donner un ordre de grandeur, rappelons que le volume de la mégabassine du Langon, en Vendée, est de 851 000 m3, soit l’équivalent de la consommation annuelle d’eau de 15 754 personnes ; celle de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, aurait au terme de son éventuelle construction un volume de 720 000 m3, soit l’équivalent de la consommation de 13 328 personnes par an.

Un modèle agricole déphasé des réalités écologiques

Ces réservoirs artificiels géants, privatisés, servent à alimenter un système agricole dominant lié à l’agro-industrie : irrigation de monocultures comme le maïs destinées à l’élevage industriel et à l’export, et ce, au mépris de la crise climatique en cours. Ces pratiques mettent en péril les écosystèmes qui dépendent directement des nappes phréatiques (comme tous les cours d’eau) et menacent, dans certains cas, jusqu’aux réserves en eau potable de la population.

Les avis de la communauté scientifique sont unanimes et condamnent largement ces procédés dévastateurs. Nous pouvons notamment citer Florence Habets, hydrogéologue, directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS) et renvoyer au collectif d’habitants Bassines non merci pour de nombreuses références sourcées.

Soutenu par l’État et financé en majeure partie par des fonds publics à hauteur de 70 %, le modèle d’accaparement des mégabassines est amené à se généraliser sur tout le territoire français et des pressions sont déjà à l’œuvre afin d’outrepasser les instances censées arbitrer leur implantation – comme en Ardèche ou sur lesbassins Loire-Bretagne et Seine-Normandie. En Haute-Savoie, des chantiers de bassines sont également en cours, comme à La Clusaz, afin de permettre la fabrication de neige artificielle pour le ski. Là encore, les intérêts privés d’une minorité, liés à des pratiques déconnectées de la réalité climatique, accaparent l’eau dans un but lucratif avec un impact majeur sur l’environnement et la population. En Touraine, les débits d’étiage des cours d’eau ont été extrêmement bas cette année, avec de nombreux assecs aux conséquences catastrophiques pour la faune sauvage.

Le gouvernement actuel – pieds et poings liés avec l’agro-industrie et la FNSEA [le syndicat majoritaire] – ne répond pas à l’urgence climatique en cours, malgré tous les effets d’annonce sur une éventuelle « planification écologique ». Dans ce contexte, il nous semble vital que la population s’empare du sujet de l’eau, de sa juste répartition, des besoins des milieux naturels, et mesure les risques d’accaparement de ce bien commun par une minorité.