des verseuses d’eau renversantes
Dans la plupart des villages de notre région, les sources, nombreuses et abondantes ont été maîtrisées par d’importants travaux de captage et de conduite ; ce qui a rendu possible la construction de fontaines.
L’eau captée est mise à disposition de la population par l’intermédiaire d’installations simples ou de fontaines. Celles-ci ne peuvent pas, dans leur grande majorité, être considérées comme des œuvres d’art et pourtant !
Vicissitudes des trois verseuses Jurassiennes…
Un article de presse du 3 janvier 2022 relate le retour à Orgelet d’une statue identique à celle dérobée à cette commune en mars 2015. La recherche historique a permis de retrouver la fonderie d’origine, Durenne à Sommevoire en Haute-Marne et son auteur. Mais sans le modèle d’origine impossible d’en refondre une copie.
Un concours de circonstances, de rencontres et de bonnes volontés a heureusement permis de retrouver une statue identique en « chair » et en fonte à Montmirey-le-Château. Mieux, Montmirey-le-Château en possède deux ! Une « Verseuse à gauche » fait honneur au double lavoir de la Grande Rue et un second modèle, « Verseuse à droite », est installé sur la petite fontaine au carrefour de la rue de Champagney. Ou plutôt était installée sur son socle… car au début du mois de février 2022 elle a hélas été dérobée à la commune et n’a pas été retrouvée.
La « verseuse à gauche » de Montmirey-le Château a fait le voyage à la fonderie (devenue en 1971 GHM, société Générale Hydraulique et de Mécanique) pour servir de modèle et réaliser la remplaçante destinée à Orgelet. De retour au village, bien protégée, elle attend désormais de retrouver sa place. Pour remplacer la « verseuse à droite » disparue, il faut maintenant retrouver une copie en place sur un village pour recréer un cycle de fabrication. Avis de recherche nationale avec le catalogue de 1868.
Le besoin d’eau au village, préoccupation constante des élus, notamment au 19e siècle
Émile Belvaux, ancien maire, nous relate ce combat sans fin dans sa « Notice sur Montmirey Le Château », éditée en 1906.
Extraits : En 1821, le 8 avril est affecté 9 041 francs à la construction ou réparation de la fontaine de la Goulotte, de la grande fontaine au pied du château féodal…
En 1833 une citerne est construite. Le Conseil se décide enfin à la construction d’une nouvelle maison commune. Il règle les entrepreneurs qui ont construit des puits dans le village. L’intention était bonne, puisqu’on recherchait l’eau qui manquait, mais le résultat fut désastreux, puisque tous ces travaux furent comblés par la suite et se chiffrèrent par une perte sèche de plus de 45 000 francs.
Le peuple consulté s’exprime : 9 pour…
Le 16 juillet 1854, projet de déplacement des grands lavoirs suite aux plaintes de riverains. M. de Mayrot propose au Conseil, qui accepte, de transporter les lavoirs et fontaines de la Goulotte au jardin des Mouches, aux frais et charges du dit Mayrot, « sous seule condition que l’emplacement actuel de la fontaine et de la voie publique » qui y conduit lui sera abandonné. Mais le village s’émeut et le juge de paix de l’époque, M. Mathieu, est chargé de faire une enquête pour connaître l’avis des habitants. Il résulte que neuf habitants seulement ont donné un avis favorable ; les autres ont protesté par le silence !
Malgré cette désapprobation tacite, le Conseil décide de passer outre et le Préfet approuve les projets le 25 mars 1857.
Le 30 septembre 1861, le Conseil fait sommation à M. de Mayrot « d’activer les travaux qui sont abandonnés depuis quinze mois, le village étant sans eau et les rues encombrées par les matériaux et les déblais ». Les choses vont cahin-caha, et les habitants sont obligés de faire leur provision d’eau dans les villages voisins, n’ayant même plus la ressource du petit filet d’eau potable que donnait la Goulotte. Le 3 juin 1865, le Conseil accepte les propositions qui lui sont faites par M. de Boidenemetz et d’en finir enfin avec cette affaire « des fontaines ».
Règlement définitif le 14 novembre 1876 en payant au sieur Frossard une somme de 939 francs.
Idée lumineuse : allons creuser à Meslay
Mais la question principale d’avoir de l’eau dans la commune reprend le dessus et, le 10 janvier 1877, le Conseil décide de faire des recherches à Meslay, territoire d’Offlanges, pour savoir s’il serait possible de capter et d’amener à Montmirey la source existante. Les recherches aboutissent, et, le 15 mai 1877, M. Sauterey, architecte à Dole, présente un projet pour l’établissement de la conduite d’eau a Montmirey, se montant à 50 000 francs, que le Conseil accepte. Les travaux sont rapidement conduits malgré le rigoureux hiver de 1879, et le village de Montmirey se voit enfin pourvu de fontaines fournissant une eau saine et abondante, même pendant les plus grandes chaleurs. Après plusieurs tentatives de création (puis dissolutions) entre 1946 et 1949, le Syndicat des Eaux de Montmirey est créé le 22 octobre 1949 entre les communes de Brans, Dammartin, Marpain, Moissey, Montmirey-la-Ville, Mutigney, Peintre, Pointre et Thervay.
Qui à l’origine de ce statuaire, a décidé de la mise en place ?
Dans la notice d’Émile Belvaux terminée en 1906, il n’y a pas de traces des deux statues verseuses. Il reste à consulter les archives de l’époque pour en connaître l’histoire. Ces deux fantaisies distributrices d’eau seraient-elles arrivées ici en « tacot » ? Ce chemin de fer vicinal a été inauguré en 1901 ?
La réalisation d’une copie de la verseuse volée pourrait voir le jour. La Fédération du Patrimoine aide les communes à monter un tel dossier. Une souscription citoyenne est envisageable. Devenez acteur du patrimoine !
par Jean-Claude Lambert (Romange)
La verseuse de la Grande Rue
Cette statue en fonte de fer est posée sur une base en pierre, fixée dans un bassin d’eau de forme rectangulaires aux angles à pans coupés, contemporain de la verseuse. Ce modèle est la verseuse proposée au catalogue de la fonderie Durenne, de 1868, modèle AE ; ce que conforte l’inscription sur le socle de la statue : « A. Durenne Paris ». Celle-ci fait référence à la société qu’Antoine Durenne avait fondé au 26, rue du Faubourg-Poissonnière. Le modelé souple de la statue, sa pose apprêtée, laissent supposer une paternité à Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887), sculpteur parisien qui a durablement collaboré avec Durenne. Ses proportions élégantes et une attitude étudiée par l’usage du contraposto (déhanché qui déporte le poids du corps sur une jambe pour obtenir un déhanchement harmonieux) sont un héritage de la Renaissance. Généralement en plâtre le modèle est réalisé par un sculpteur d’après une œuvre originale modelée dans l’argile. Son empreinte est ensuite prise dans un moule en sable contenu dans un châssis métallique, dans lequel on coulera de la fonte ou du bronze. Durenne exposait ses œuvres brutes de fonderie pour que l’on puisse apprécier la finesse du grain. Cette qualité « Faire du beau dans l’utile » était sa devise. La verseuse de la Grande Rue illustre la démocratisation de la pratique artistique : l’œuvre d’art va au-devant des populations rurales sous la forme de ces fontaines de villages qui fleurirent depuis 1850.
Sylvie de Vesvrotte, conservatrice des antiquités et objets d’arts du Jura
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Sources : Christel Poirrier - moissey.com / Association Le Paradis, Les compagnons de Saint Pierre, Joël Hauer - https://www.fontesdart-sommevoire.org/ / Joseph d’Aligny / Martin Daune, Maire de Montmirey-le-Château