Oeuvre de l’architecte Dolois Anatoile Amoudru (1782)
Ce monument est inscrit aux Monuments Historiques par arrêté du 19 novembre 1946.
Une grande partie du patrimoine bâti des villages de la Serre relève de l’intense campagne de reconstruction qui a touché la Franche-Comté peu après son rattachement à la France en 1678 et jusqu’à la Révolution.La croix d’Archelange a ainsi été érigée devant la petite église Saint Hubert en 1783, sur les plans et devis de l’architecte dolois Anatoile Amoudru (1739 - 1812), désigné pour prendre en charge ce dossier par François-Joseph Legrand de Marizy, « grand maître des eaux et forêts des duché et comté de Bourgogne, Bresse, Basse Alsace et autres provinces ».
Comme beaucoup d’autres constructions, cette croix a été financée par la vente du quart de réserve de la communauté d’Archelange, selon une procédure qui mérite d’être mieux connue, car elle est à l’origine de la qualité architecturale des équipements publics et religieux du XVIIIe siècle dans notre région.
QUART DE RÉSERVE DES BOIS ET TRAVAUX COMMUNAUX
Après son annexion, la Franche-Comté se vit imposer la législation forestière française, celle fixée par l’ordonnance de Colbert sur le fait des eaux et forêts de juillet 1669. Toutes les communautés d’habitants furent alors contraintes d’arpenter leurs bois et d’en délimiter un quart, dans les meilleurs fonds, pour croître en futaie et former une réserve. La coupe de tout ou partie de cette réserve était formellement interdite, sauf autorisation royale délivrée seulement en cas d’incendie ou ruine notable des églises, ports, ponts, murs et autres lieux publics. Cette autorisation prenait la forme d’un arrêt du Conseil d’État du roi, fixant le nombre d’arpents à couper et la liste des projets architecturaux à financer par le produit de la vente des bois. L’arrêt confiait généralement au grand maître la responsabilité de présider non seulement l’adjudication des bois, mais aussi celle des travaux, sur les plans et devis de l’architecte nommé par ses soins. Ce dispositif explique pourquoi l’administration forestière en Franche- Comté assura la conduite et le contrôle d’un très grand nombre de chantiers communaux au cours du XVIIIe siècle, au grand dam de l’intendant et de ses subdélégués.
ANATOILE AMOUDRU, UN ARCHITECTE PRIVILÉGIÉ DU GRAND MAÎTRE FRANÇOIS-JOSEPH LEGRAND DE MARIZY
Fils d’un arpenteur de la maîtrise particulière des eaux et forêts de Dole, Amoudru, formé à l’architecture à Dole, Dijon et Paris, fut chargé durant vingt ans, de 1770 à 1790, grâce à la protection du grand maître, de plusieurs centaines de projets d’équipements communaux : églises, presbytères, croix, maisons de maître d’école et de pâtre, fontaines-lavoirs, ponts, digues… (Voir Serre vivante n° 37).
LA REQUÊTE DES HABITANTS D’ARCHELANGE EN 1779
Se trouvant dans la nécessité de reblanchir l’intérieur de l’église, réparer la sacristie et les fontaines, construire une maison pour le pâtre, édifier une croix et un petit clocher, les habitants d’Archelange s’adressèrent au Conseil d’État du Roi pour obtenir l’autorisation de couper le quart de réserve de leurs bois communaux pour en employer le produit au financement de ces travaux. Le contrôleur général des finances à Paris sollicita l’avis de l’intendant de Besançon (équivalent aujourd’hui du préfet de région). Ce dernier après enquête conduite par le subdélégué de Dole (équivalent du sous-préfet) formula les observations suivantes : Il résulte des éclaircissements que j’ai pris […] que si l’on excepte la construction du clocher, qui est absolument inutile, tous les autres objets de dépenses sont indispensables ;
d’après cela le quart de réserve de cette communauté étant dépérissant et les habitants d’Archelange n’ayant aucuns revenus communaux pour subvenir au paiement des différents ouvrages dont il s’agit, je pense que rien ne doit s’opposer à ce qu’ils obtiennent la permission qu’ils sollicitent […].
L’EXÉCUTION DES TRAVAUX APRÈS LA VENTE DES BOIS
Après l’arrêt favorable du Conseil, un important négociant, le sieur Jannot, emporta l’adjudication des bois d’Archelange à la maîtrise de Dole en décembre 1781. De son côté, Amoudru donna les devis et plans de la croix, des réparations et constructions attendues. Il reçut 366 livres d’honoraires, versés par le receveur des domaines et des bois. Adjugés à l’entrepreneur Gadriot en 1782, tous les travaux prévus étaient achevés deux ans plus tard.
UNE CROIX EN PIERRE DE TAILLE À L’ARCHITECTURE SAVANTE
Nous avons pu recenser six projets de croix identiques donnés par Amoudru pour des villages du Doubs et de la Haute-Saône.
Le devis de celle d’Archelange est aujourd’hui perdu, mais nous conservons celui qu’Amoudru dressa en 1785, avec les mêmes dimensions, pour les habitants de Francourt (70). En voici quelques extraits (le pied valant 32 cm et le pouce 2,7 cm) :
Cette croix s’élèvera de dix neuf pieds au-dessus du sol dont dix pouces pour chacune de ces deux marches au bas, trois pieds quatre pouces pour la hauteur du piédestal, neuf pieds pour la colonne et cinq pieds pour la croix au-dessus (la croix actuelle n’est pas celle d’origine, visible sur les cartes postales du début du XXe siècle), les marches et le piédestal seront à huit pans cintrés chacun régulièrement, les cintres de chacun de ces huit pans partant d’un seul et même centre pour chacun, lequel centre sera pris au sommet d’un triangle équilatéral tracé sur l’un des côtés de la première marche comme il est ponctué à l’un de ces côtés
Référence : Jean-Louis Langrognet, Anatoile Amoudru (1739-1810) architecte ou les bois devenus pierres, éd. La Passerelle, Dole, 2013 –432 pages, 21,0 cm × 27,5 cm - 35 €.
sur le plan. Le quarré de la baze de la colonne sera aussi à huit pans ceintrés par un trait partant du même centre. … Les deux quartiers ou tambours formant ce piédestal seront ainsi que les marches en dessous traversées par une barre de fer de quinze lignes en quarré entrant encore d’un pied dans le bas de la colonne, afin que l’ensemble de cet ouvrage soit de la plus grande solidité, le tout sera posé à mortier fin.
La colonne aura un pied de diamètre sur neuf pieds de hauteur compris baze et chapiteau et non compris la partie d’un pied au-dessous de la baze dont elle sera engagée dans le tambour du dessus du piédestal. Cette colonne sera d’ordre ionique avec baze attique et chapiteau ionique moderne de Scamozi, orné de chutes aux quatre angles, de guirlandes sortant des volutes et à l’une desquelles sera appendu un médaillon que l’on pourra charger de l’inscription qu’on trouvera convenir (ce médaillon devrait être du coté de la route et non du côté de la porte de l’église) […]. Cette colonne sera d’une seule pièce, baze et chapiteau compris ainsi que la partie de dessous engagée dans le piédestal. Elle sera avec renflement et diminution, le tout proportionné suivant les règles de l’ordre ionique, telles qu’elles se trouvent dans Vignole et fait par un sculpteur habile. … Le Christ sera fait par un sculpteur habile ainsi que les deux petites statues au bas qui seront arrêtées solidement avec goujons et sellées en plomb sur le chapiteau. Le tout ainsi qu’il conviendra pour la plus grande solidité. Les marches seront taillées à la fine rustique, le piédestal sera battu à la fine boucharde et la colonne layée et travaillée aussi proprement que si elle avait été passée au grais… En raison de son intérêt pour l’art et l’histoire, la croix monumentale d’Archelange, propriété de la commune, bénéficie d’une protection au titre des monuments historiques depuis le 19 novembre 1946
par Jean-Louis Langrognet,
Conservateur honoraire des antiquités et objets d’art de Haute-Saône.
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