Un pesticide pointé du doigt
Dans plusieurs communes de Jura Nord, il est déconseillé de boire l’eau du robinet depuis fin janvier. Les taux de certaines molécules issues d’un pesticide dépassent les normes établies par l’Union européenne et par l’État. Fin janvier, les habitants d’une quinzaine de communes, autour de Montmirey-le-Château, sont sommés de ne plus boire l’eau qui coule de leur robinet. De récentes analyses de l’Agence Régionale de Santé (ARS) montrent en effet la présence de certains métabolites – ESA et NOA – dans des taux supérieurs aux normes sanitaires. Ces molécules sont des résidus d’un pesticide utilisé notamment dans la culture de maïs et de soja, le métolachlore.
C’est en 2018 que ces substances sont décelées pour la première fois dans l’eau distribuée par le syndicat intercommunal des eaux (SIE) de Montmirey-le-Château. Jusqu’alors, elles n’étaient tout simplement pas recherchées. À l’époque, le robinet n’est pas pour autant coupé ; les pouvoirs publics n’ont pas encore fixé de seuil au-dessus duquel l’eau serait impropre à la consommation. L’Union européenne a pourtant déjà donné des consignes, dans une directive de 1998 : toute trace de pesticide dans l’eau ne doit pas dépasser 0,1 microgramme par litre. Mais chaque État est relativement libre de faire appliquer ces recommandations sur son territoire. La France s’en charge début 2021, après l’avis de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Pour ESA, ce sera une tolérance jusqu’à 0,510 microgramme par litre ; pour NOA, le seuil strict de 0,1 microgramme est maintenu. Ces niveaux varient d’un pays membre à un autre, parfois plus élevés, parfois plus faibles.
Un périmètre de protection depuis 2019
À Montmirey, la mise en place de ces normes oblige le syndicat à agir pour faire redescendre les taux. Le SIE a d’ailleurs pris les devants dès 2019, en instaurant un périmètre de protection autour du puits de captage, situé entre Thervay et Malans, près de l’Ognon. 25 hectares, rapidement étendus à 95, sont intégrés à cette zone de protection.
Sur ces parcelles, il sera désormais interdit d’utiliser le fameux métolachlore. Pour convaincre les agriculteurs, et compenser cette contrainte qui peut conduire à un manque à gagner, une indemnité annuelle leur est versée. Total de la facture : 23 000 euros par an. Le syndicat décide également de racheter certains terrains. Il acquiert ainsi 32 hectares, qu’il laisse en prairies, sur lesquelles aucun pesticide n’est utilisé. Mais l’opération ne suffit pas : en 2021, de nouvelles analyses montrent toujours la présence de métabolites. Le SIE opte alors pour une dilution de son eau avec celle du syndicat voisin, afin de diluer aussi les résidus de pesticides. Là encore, la note est salée : un investissement de 7 000 € et un coût mensuel de 6 000 €. Avec des résultats sensibles, mais toujours insuffisants puisqu’en janvier 2022, le couperet tombe : l’ARS recommande de ne plus boire l’eau.
Agrandir la zone protégée ?
Face à cette interdiction, plusieurs pétitions sont lancées. Des usagers, mais aussi des maires, comme Martin Daune, élu à Montmirey-le-Château, réclament notamment l’interdiction totale des produits phytosanitaires sur la zone de protection, étendue à 100 hectares. Contactés, les agriculteurs concernés par cette proposition, n’ont pas donné suite aux sollicitations ou n’ont pas souhaité s’exprimer. De leur côté, Bernard Perrinet et Gérard Maitrot, président et vice-président du SIE, ne repoussent pas l’idée ; « Mais c’est un vœu pieu », estime le premier. « Le syndicat n’a pas le pouvoir d’imposer 100 hectares sans pesticide à des exploitants », explique-t-il. Une telle décision implique de réaliser des études hydrogéologiques, pour éventuellement agrandir le périmètre de protection, moyennant une nouvelle indemnisation des agriculteurs, si un accord était trouvé. «Ce serait bien que ce soit Monsanto qui indemnise», ironise Gérard Maitrot, devant l’estimation de la Chambre d’agriculture pour cette nouvelle compensation, à savoir 93 000 euros par an. «Les gros syndicats, qui ont beaucoup d’argent, peuvent éventuellement racheter les terres pour en faire l’usage qu’ils souhaitent, note Martin Daune, mais le SIE compte seulement 4 000 habitants». Avec un budget annuel d’environ 430 000 euros, difficile en effet de multiplier les dépenses. «L’État conseille de protéger les zones de captage, mais n’en donne pas les moyens», regrette le maire de Montmirey-le-Château. La localisation du puits et des terres qui l’entourent ne font que complexifier le problème : elles englobent trois départements – Jura, Haute-Saône et Côte-d’Or – «et les ARS ne travaillent pas de la même manière», indique Bernard Perrinet.
Les deux élus à la tête du SIE restent enfin sceptiques quant à l’impact réel de l’extension de la zone protégée : «Moins il y aura de pesticide, mieux ce sera, mais nous n’avons aucune certitude sur la disparition totale des métabolites dans l’eau», prévient le président. D’abord parce que ces molécules ont une durée de vie d’environ six ans, mais aussi parce que l’eau captée à Thervay est puisée dans des nappes alimentées par l’Ognon. «Les études hydrologiques montrent qu’une partie de l’eau provient de zones très éloignées, jusqu’au lac de Gérardmer ! Nous n’avons pas la main sur les produits utilisés là-bas», se résigne Bernard Perrinet. «Le problème est national, en conclut son collègue, mais l’État ne fait rien, et ce serait à nous, syndicats, de trouver un moyen de distribuer de l’eau potable», s’agace-t-il.
Mise en place d’une filtration de l’eau
Le SIE de Montmirey est loin d’être le seul à devoir résoudre ce casse-tête. Dans un courrier de mai 2021, la Direction Générale de la Santé signalait que, « à l’échelle nationale, plus de 4,5 millions de personnes [étaient] alimentées par une eau non conforme vis-à-vis [des normes européennes, ndlr] de l’ESA métolachlore. » Bien que l’Union européenne exige des mesures de « prévention », ainsi qu’une réduction du « degré de traitement de purification nécessaire à la production d’eau potable », certains territoires ont opté pour des solutions de traitement de l’eau a posteriori. Faute de moyens financiers ou de règle plus stricte au niveau de l’État, des syndicats se sont ainsi tournés vers les filtres à charbon actif, qui ne laissent pas passer les métabolites. Une installation estimée, pour le SIE de Montmirey, à 1,5 million d’euros… Sans compter les mois de travaux, dont la construction d’un bâtiment annexe à l’actuelle station de pompage.
«Comme l’ARS nous demande d’agir en urgence, nous avons préféré opter pour une solution provisoire», commentent les élus du syndicat. Un système de filtration temporaire, avec des silos extérieurs, sera ainsi installé dès début juillet, pour un coût d’environ 240 000 euros. «Il faudra y ajouter 25 000 euros à chaque changement de silo, tous les 8 à 14 mois», complètent Bernard Perrinet et Gérard Maitrot.
Pour financer ce projet, le syndicat est en quête de subventions, mais il n’y a pas de doute : « Nous sommes obligés de le répercuter sur le prix de l’eau », concède Bernard Perrinet. En octobre 2021, une première augmentation de 0,20 euro a déjà été votée. « On reste toutefois dans des prix très raisonnables, à savoir 1,30 euro le mètre cube », rappelle son vice-président. Les dernières analyses de l’ARS à la date de l’écriture de l’article montrent des résultats conformes aux normes sanitaires… même si le taux d’ESA reste supérieur au seuil de la directive européenne. Mais avant de rouvrir le robinet, l’Agence souhaite que trois à quatre analyses consécutives montrent des concentrations en métabolites en deçà des limites. Soit trois à quatre mois… et l’installation du système de filtration. S’il comprend l’urgence de la situation et salue la décision adoptée, Martin Daune s’inquiète : « J’ai peur que si les analyses sont conformes en juillet, avec le filtre, on abandonne l’idée d’interdire tout produit phytosanitaire dans une zone protégée de 100 hectares autour du puits… et que dans quelques années, on décèle un nouveau métabolite. »
par Camille Jourdan
Cliquez sur l’image ci-dessus pour découvrir le texte publié dans le bulletin 53 !