La prolifération des sangliers hors de contrôle

Les chiffres sont là : en 1973, 36 000 sangliers étaient abattus sur l’ensemble du territoire français, contre 747 000 en 2019, soit vingt fois plus. Entre-temps, la population a suivi la même courbe exponentielle pour s’établir à environ 2,5 millions de têtes. Dans de nombreuses régions, les chasseurs sont aujourd’hui débordés.

À qui la faute ? Les chasseurs sont en première ligne, accusés d’avoir nourri en forêt des animaux afin d’assurer de « belles chasses ». La situation ne fait qu’empirer, se désolent les agriculteurs… Et les chasseurs de constater qu’à cause du remembrement et de l’extension de la monoculture du maïs, le petit gibier, jadis abondant, a presque complètement disparu. Qu’elle est la part de responsabilité de chacun dans la modification des équilibres écologiques ?

Une pratique interdite… mais encore trop pratiquée

Au centre des critiques, l’agrainage par les chasseurs, qui consiste à répandre du maïs dans les forêts pour fixer l’animal et l’empêcher d’aller se nourrir dans les champs. La technique est efficace pour limiter les dégâts au moment des semis ou des récoltes, mais elle se transforme souvent en nourrissage à l’année, une dérive qui alimente le cycle prolifique de la reproduction. La maturité sexuelle arrive à l’âge d’un an et la gestation dure en principe 115 jours.

La laie qui possède 10 tétines élève chaque année une portée de 3 à 10 petits.

Les excès du nourrissage entraînent parfois une seconde portée dans la même année. La machine s’est emballée, la reproduction est très performante chez cet animal dont la chasse est la principale cause de mortalité. L’agrainage à poste fixe est aujourd’hui interdit, depuis la loi créant l’Office Français de la Biodiversité (OFB) en 2019 (sanction : 135 € d’amende/poste fixe).

Hélas, il reste encore trop largement pratiqué dans le cadre de dérogations ouvertes par le Schéma départemental de gestion cynégétique. Et après les campagnes, l’invasion commence à toucher les zones périurbaines… La pose de kilomètres de clôtures électriques, seul remède vraiment efficace, coûte cher. Le problème, ce n’est pas tant le matériel, que l’entretien et le temps passé à clôturer les parcelles. Les chasseurs doivent-ils être les régulateurs de la faune sauvage ? Est-ce à l’État d’assurer cette fonction ? Et pourquoi pas, au loup, l’un des rares prédateurs naturels du sanglier ?

Les excès du nourrissage entraînent parfois une seconde portée dans la même année... Les excès du nourrissage entraînent parfois une seconde portée dans la même année...

Un sujet politique et sociétal sensible

Depuis 1968, les fédérations départementales de chasse sont tenues d’indemniser les agriculteurs victimes de dégâts commis par le grand gibier. Et la facture grimpe au fils des années. Certaines sont aujourd’hui au bord de la faillite : les chasseurs de la Nièvre ont contracté un prêt bancaire de 600 000 € pour régler la note ; dans les Landes, c’est une subvention de 500 000 € du conseil départemental qui a évité la banqueroute. La Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) a entrepris une vaste opération de lobbying pour partager ce fardeau devenu trop lourd : 80 millions d’euros en 2019.

Cette communauté vieillit et diminue régulièrement. De 2,2 millions, dans les années 1970, les chasseurs sont à peine plus de 1 million aujourd’hui. Ils estiment ne pas avoir à assumer seuls, dans la mesure où 30 % du territoire seraient peu ou pas chassés du tout. Qui doit payer ? Tous les propriétaires terriens, qu’ils soient publics ou privés, y compris ceux qui refusent la chasse sur leurs terres ? Les agriculteurs peu vigilants à protéger leurs cultures ? Ou encore l’État, qui délègue de plus en plus la régulation aux chasseurs, pour compléter l’action des lieutenants de louveterie, chargés des battues administratives ?

Puissamment organisée, la FNC a failli réussir à introduire dans le dernier collectif budgétaire 2020 une taxe s’appliquant à tous les territoires, consacrant le principe du non-chasseur/payeur. Mais l’amendement, coprésenté par une vingtaine de députés de tout bord, n’a finalement pas été soutenu par le gouvernement, sensible aux arguments d’un autre puissant lobby : les syndicats agricoles.

Coup de chaud !

L’observation des sangliers met en évidence plusieurs lignes de fractures dans la société : la ruralité contre les villes, les naturalistes contre les chasseurs, les chasseurs contre les agriculteurs… et bien souvent, dans les réunions, c’est celui qui crie le plus fort qui finit par l’emporter. Le réchauffement climatique pourrait encore accélérer l’urgence du problème.

Une récente étude, publiée dans la revue Ecological applications et menée par Laura Touzot, biologiste rattachée au CNRS, indique que le réchauffement climatique entraîne probablement un accroissement de la population grâce à une augmentation de la quantité de glands en forêts. Plus cette ressource est abondante, plus les femelles se reproduisent. D’après les simulations, cela pourrait conduire à un emballement de la démographie. Après avoir été leur meilleur allié, le sanglier pourrait devenir le pire ennemi des chasseurs. L’équilibre, fragile depuis de nombreuses années, est maintenant rompu.

Pascal Blain Par Pascal Blain, président de Serre Vivante

lire la suite

Cliquez sur l’image pour accèder au texte publié dans le bulletin 50 …