Madame Cézanne, native de Saligney
Si une multitude d’ouvrages ont été écrits sur son mari, peu d’informations nous sont parvenues sur Hortense Fiquet.
Dans leur ouvrage de 2018 « Madame Paul Cézanne », François Chedeville et Raymond Hurtu se sont intéressés à elle, comme personne ne l’avait fait auparavant et ont pu ainsi rétablir quelques vérités. Ce couple avait tout pour surprendre par les différences de milieux sociaux et par leurs caractères. Mais malgré les vicissitudes de la vie, ce couple baroque a su nouer, entretenir et faire durer un lien profond. La présence massive dans la peinture du maître de celle qui, sur le tard, deviendra son épouse est aussi là pour en témoigner.
Hortense Fiquet est née à Saligney le 22 avril 1850
Son père, Claude-Antoine Fiquet et sa mère, Marie-Catherine Deprez, propriétaires domiciliés dans ce petit village du Nord-Jura, sont tous deux issus de familles de cultivateurs. En 1852, la famille s’installe à quelques kilomètres de là, à Lanterne-Vertière (Doubs), avant de faire une tentative d’installation à Paris en 1853-1854. La toute jeune Hortense reste certainement vivre à Saligney, chez sa grand-mère. Une épidémie de choléra sévit à Saligney en juillet-août 1854. Hortense a 4 ans. Elle voit mourir son frère, sa tante, son oncle et tant d’autres personnes du village, emportées par la maladie. Le couple Fiquet revient à Lanterne- Vertière en 1855 avant de s’installer de nouveau à Paris en 1856-1857 où son père s’établit brocheur-relieur de livres. Sa mère meurt quand elle a dix-sept ans. Hortense travaille avec son père comme brocheuse-relieuse. Alors, les livres sont cousus à la main. En 1870, son père rentre à Lantenne-Vertière, la laissant seule à Paris. Elle a tout juste 20 ans.Raymond Hurtu avait signalé en 1994 à la mairie de Saligney que Madame Cézanne était originaire du village. Son nom a été donné le 3 novembre 2007 par le maire, M. Gilbert Lavry, au parking proche de l’église.
1870-1878, une liaison cachée
Hortense est une grande et belle fille brune dont les grands yeux noirs éclairent le visage au teint mat. Elle rencontre Paul entre mars et juillet 1870, rue Notre- Dame des Champs, grâce à des amis communs. Cézanne, de onze ans son ainé, s’éprend d’elle et la décide à partager sa vie. Issu d’une famille bourgeoise d’Aix-en-Provence, il cache pourtant à son banquier de père cette liaison, de peur que celui-ci ne lui supprime la maigre pension qu’il lui verse. Deux ans plus tard, le 4 janvier 1872, Hortense donne naissance à leur fils, au 45 rue de Jussieu. Il s’appellera Paul, comme son père. Durant les neuf premières années de vie commune, malgré des difficultés matérielles considérables et des déménagements fréquents, le couple vit une cohabitation classique et plutôt heureuse, chacun laissant à l’autre l’espace de liberté dont ils ont tous deux besoin.
Entre guerre et paix. 1878-1886
En 1878, le couple tente d’aller vivre en Provence, Paul espérant pouvoir révéler à son père la vérité de sa situation. Mais une grave crise familiale l’oblige à cacher sa compagne et son fils. Hortense retourne vivre à Paris avec son fils, avec l’aide financière de l’ami Zola. Cézanne vit un moment seul à Melun, rendant visite à Hortense et Paul. La vie commune reprend ensuite mais Cézanne retourne régulièrement à Aix en Provence pour voir sa famille. Il y passe de longs séjours, de six mois et même pour l’un de plus de trois ans. Après la crise suite à une séparation trop longue, le couple décide de reprendre la vie commune en Provence. Finalement, ils se marient en 1886 avec la bénédiction du père de Cézanne qui va bientôt mourir, leur laissant une fortune considérable. Ils passent ainsi brutalement de la pauvreté à l’opulence.
A la recherche de la bonne distance. 1886-1891
Cette période de leur vie se caractérise par des alternances de brèves périodes de vie commune et de séparations. Mais plus de longues séparations dangereuses pour l’équilibre du couple, le lien familial n’est jamais rompu, ils trouvent au contraire la bonne distance pour sauvegarder leur liberté réciproque.
Des vies séparées, une relation apaisée. 1891-1899
Ils vont vivre désormais totalement indépendants l’un de l’autre, qu’ils soient physiquement séparés ou qu’ils cohabitent pour un temps dans un même appartement ou un même lieu. Les relations sont apaisées, rendant possibles des voyages en commun et même des périodes de vie commune. Leur fils, parvenu à l’âge adulte, reste entre eux un point de convergence incontournable.
L’équilibre final : Hortense et Paul libres et proches
Durant cette dernière période qui s’ouvre en 1900, Paul Cézanne s’installe définitivement à Aix alors qu’Hortense s’installe désormais à Paris avec son fils. Durant les six dernières années qui précèdent la mort du peintre, Hortense reviendra vivre avec lui tous les six mois pour des périodes variables. Cézanne meurt seul à Aix en Provence, le 23 octobre 1906. A la mort de son mari, Hortense et son fils vendent le contenu de l’atelier de Cézanne et un certain nombre de tableaux et d’aquarelles. Ils possèdent désormais des moyens tout à fait considérables. Hortense laisse libre cours à son désir de voyages et de vie à l’hôtel, en Suisse, à Marseille, à Monaco… Elle satisfait aussi son goût du jeu dans les casinos. Elle mène une existence bourgeoise qu’elle partage avec son fils dans différents appartements parisiens. Elle aura le bonheur de voir naître quatre petits-enfants Paul, Aline, Pierre et Jean- Pierre mais aussi la douleur de perdre Paul et Pierre en 1915 et 1916, à l’âge de 16 mois et d’un mois. Elle s’éteint le 3 mai 1922, chez son fils, 30 rue de Miromesnil et est inhumée au Père-Lachaise.
Une exposition à New-York
Hortense fut un référent majeur dans l’existence et les réflexions de Cézanne : entre 1872 et 1895, elle est son modèle le plus souvent étudié et portraituré. Une exposition lui est dédiée du 19 novembre 2014 au 25 mars 2015 au Metropolitan Museum of Art. On y découvre 24 des 29 toiles dont elle fut le sujet, plus de 50 dessins parmi les 90 qu’elle inspira, ainsi que des aquarelles. Le catalogue de l’exposition, « Madame Cézanne » supervisé par Dita Amory est disponible en librairie. Plus récemment, une exposition « Portraits de Cézanne » a eu lieu au musée d’Orsay du 13 juin au 24 septembre 2017. Parmi les 60 portraits exposés, Hortense y apparait 24 fois. Le catalogue est disponible sur le site du Musée d’Orsay
En savoir +> http://www.societe-cezanne.fr/
Par Laurent Champion, Chevigny
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