Chevigny, le corbillard protégé

Le corbillard de Chevigny a été récemment protégé au titre des Monuments Historiques comme représentatif des traditions communales anciennes.

Son inscription permettra de transmettre aux générations futures cet objet, témoin de l’histoire et de la vie quotidienne au début du XXe siècle.

Ce véhicule mortuaire bien conservé illustre le savoir-faire et les compétences d’une époque dont il ne reste guère d’exemplaire dans le Jura. La qualité et le raffinement du décor de cette voiture hippomobile attestent certainement d’un village florissant, par rapport à d’autres communes où le corbillard, quand il est encore conservé, est d’une construction plus sommaire. Son état de conservation exceptionnel en fait un exemplaire rare dans la catégorie des corbillards de Franche-Comté. Sur le plateau repose même le harnachement du cheval qui tirait la voiture et les deux limons.

Un bien bel ouvrage

Le corbillard de Chevigny, à énergie animale, comporte une structure de suspension sur le train avant, montée sur deux ressorts elliptiques ; au niveau du cocher, une manivelle en fonte permettait de manoeuvrer le frein à patin sur la roue arrière gauche. Le train porte un grand plateau de forme rectangulaire, entouré de panneaux peu élevés, avec 4 colonnes en balustres supportant un dais rectangulaire qui, à ses angles, devait s’embellir de panaches noirs peut-être en plume d’autruche ! À l’arrière un battant en bois s’abaisse par un système de serrure et permettait d’encastrer le cercueil dans le plateau au moyen d’un système de tubes roulants sur eux-mêmes toujours en place. Un système de planches de bois fixées sur des montants courbes en fer forgé dissimulait ainsi le cercueil. La caisse en fer sur laquelle repose la banquette du cocher est creuse et renferme le réduit où le cocher pouvait mettre ses propres affaires. Les matériaux utilisés pour constituer un tel véhicule hippomobile sont nombreux : bois (structure de plusieurs éléments), fonte de fer (frein, système de suspension), métal : cerclage métallique des roues, fer blanc décor au sommet du dais, cuir (garniture siège du cocher), toile protégeant la banquette du cocher, garniture textile (pentes, rideaux, housse de siège) plus passementerie : cordons se finissant par des glands, galons et franges.

Gustave Pernot « Maître carrossier »

Les statuts de sa société furent déposés le 30 janvier 1924 à Dole. Il est désigné comme charron, forgeron, carrossier, établi au 1 bis avenue de Paris. Il déclare adjoindre à cette activité celle de cafetier-restaurateur ! Il cessa son activité le 22 novembre 1937. Le marché passé entre la commune de Chevigny et l’artisan pour la fabrication de cette voiture hippomobile n’a pas été retrouvé.

Utilisé jusqu’en 1971

Les anciens se souviennent que dans les années 50-60, lorsqu'ils étaient enfants de choeur, la maîtresse d'école les autorisait à participer aux cérémonies funéraires pendant le temps scolaire

Longtemps, jusqu’en 1970, Théodore Dassaut a conduit Bijou, le cheval qui tirait le corbillard de Chevigny. Un cheval calme, qui marchait lentement. En 1970-1971, Maurice Vittet a pris la relève avec son cheval, puis avec son tracteur, un Ferguson gris que tous appelaient « le p’tit gris ». Le corbillard a servi pour la dernière fois en mars 1971 pour l’enterrement d’Ernest Evrard. Le corbillard a ensuite été utilisé en 1977 pour le téléfilm « La maison des autres » de Jean-Pierre Marchand, inspiré de l’oeuvre de Bernard Clavel. Henri Echaroux le conduisait. A partir de 1971, la commune de Moissey a pris le relais avec Robert Ruisseaux au volant d’une camionnette familiale 203 noire. Les gens du village participaient encore à l’organisation de l’enterrement. Vers 1980, jusqu’en 2008, le service était assuré par le SIVOM de Monnières.

Au fil du temps …

Au Moyen Âge, des bateaux à fond plat acheminaient les marchandises à destination de Paris, via la Seine depuis Corbeil, important port où arrivaient les céréales de Beauce et Brie, le vin ou encore les matériaux de construction. Ces embarcations à fond plat étaient appelées corbeillards. Lors des épidémies de peste, récurrentes au XVI e siècle, ces bateaux servirent à évacuer les morts. Il fallut attendre le XVIII e siècle et une certaine sophistication des rites funéraires pour que se répande la pratique du transport des défunts à l’aide d’un char hippomobile, lequel prit alors le nom de corbillard. Au XIX e siècle, des entreprises se lancèrent dans ce qui était devenu une industrie prospère. Des véhicules magnifiques qui peuvent être qualifiés d’œuvres d’art furent assemblés à l’intention des clientèles aisées qui ne manquèrent pas d’ajouter ainsi tout le décorum voulu à leurs funérailles…

Sylvie de Vesvrotte par Sylvie de Vesvrotte,

Conservateur déléguée des Antiquités et Objets d‘Art du Jura

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