Histoire(s) et légendes locales

Instituteur à la retraite depuis 20 ans, toujours curieux et passionné d’histoire locale, Robert Thiebaud consacre son temps à l’écriture. Il vient d’achever une nouvelle notice - vendue au profit de la lutte contre le cancer - sur Vriange, son village, où il évoque souvenirs et légendes locales … dont celle du « tire-bigot ». Extraits.

A Vriange, au siècle dernier, c’est à la fontaine du « Bas de la Velle » que nombre de Vriangers venaient chercher l’eau, avec broc, seau ou arrosoir. Précieux breuvage, indispensable à la vie courante ! Mais l’eau, si vitale, a toujours été un danger, surtout pour les enfants. C’est tellement fascinant de faire des barrages … Il y avait eu ce petit garçon noyé au moulin, et cette petite fille à Malange qui « avait chu dans le pouits », aussi, la sagesse populaire avait-elle inventé le tire-bigot …

Souvenirs …

« Nous savions tous ce qu’était un bigot, cet outil à quatre crocs pointus, utilisé pour sortir le fumier des écuries ! Alors, un monstre hideux qui nous tirerait au fond de l’eau avec de tels crocs … On avait une belle frousse - les parents pouvaient être tranquilles ! » , raconte Jacqueline. Mais tous, un jour ou l’autre, nous avons fait une chute dans le ruisseau, sans avoir heureusement eu à faire au tire-bigot. Et ce jour-là tout penaud, on nous accueillait à la maison en riant et en nous mettant au sec on nous disait : « Et bien maintenant, tu es vraiment de Vriange ! ». Pour Andrée et ses deux sœurs c’était une joie d’accompagner leur maman à la fontaine. « Plonger les arrosoirs ou le seau après avoir écarté les brindilles, herbes, araignées qui flottaient à la surface de l’eau, c’était un ravissement ! »

‘‘Deux yeux brillent au fond du puits. On croirait ceux du loup la nuit. Un ricanement, une main griffue, est-ce une grosse araignée poilue ? Surtout n‘approche pas mon marmot, car c‘est certainement le Tire-Bigot ’’

Mais le tire-bigot était là, avec sa « grande gueule » prête à les attirer et les faire disparaître pour toujours Que de recommandations ont été données : « Ne vous penchez pas trop … Attention, attention, c’est dangereux … ». Un léger clapotis battait les parois de ce gros entonnoir de pierre. Qui n’a jamais emporté personne. Compagnon redouté de notre enfance, nous l’avons épié pendant des années, tous les jours, qu’il pleuve ou qu’il fasse soleil, jusqu’à l’arrivée de l’eau courante dans les maisons.

Un sale gosse

L’été a été pluvieux : une épaisse couche de boue cerne l’abreuvoir du Bas de la Velle ; des vaches s’y abreuvent et leurs sabots laissent derrière elles des coupes d’eau brunâtre. C’est le domaine des papillons bleus et des libellules azurées. Monde merveilleux. Je veux saisir l’insaisissable … Je m’approche, tends la main, je me penche … Tout à coup, mon bras s’immobilise : devant moi, affleure un gros tuyau recouvert d’algues noirâtres. Son œil glauque me fixe. L’angoisse m’étreint; mes oreilles en feu, bourdonnant d’interdits cent fois ressassés, je m’arrache de la fange, mes sabots alourdis, cours, cours, pataud vers Odette, ma grande sœur et crie, triomphant : « j’ai vu le tire-bigot ».

Ainsi, se perpétuent de fantastiques croyances. Le tire-bigot est toujours là, dans sa fontaine, même s’il n’a plus beaucoup de visites …

par Robert Thiebaud, lire la suite

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